Par Nabil Ennasri
Auteur de L’énigme du Qatar

Face à la folie meurtrière qui a frappé notre pays, le temps de l’émotion doit laisser place à la réflexion. Afin de ne plus vivre pareil traumatisme, il est désormais essentiel que chacun prenne ses responsabilités. Musulmans comme non-musulmans, le « jour d’après » nous impose d’identifier les carences respectives et de mobiliser les consciences dans l’optique de les dépasser. En toute franchise.
Chers musulmans, prenons nos responsabilités face à cette partie de notre communauté qui n’incarne en rien les valeurs authentiques du message de l’islam. Ne pas voir cette réalité d’une poignée de jeunes radicalisés, ne pas la regarder en face pour mieux la traiter et l’endiguer, c’est continuer le risque de nous voir, nous majorité, être de nouveau pris en otages.
Même s’il ne faut pas surestimer le nombre et la présence dans nos rangs de ces franges radicalisées, il ne faut pas non plus nier leur existence. Dans certaines mosquées, sur internet et les réseaux sociaux, ils sont actifs et se revendiquent du même prophète que nous. Nous avons un rôle impératif pour contrer leurs idées et renforcer tout le dispositif éducatif dans la communauté afin de prévenir l’éventuelle dérive d’esprits fragiles.
Multiplier les échanges, les actions de proximité
Prenons nos responsabilités et rassurons ceux de nos concitoyens qui se posent de légitimes questions sur le sens à donner au message de l’islam.
Oui, certains de nos compatriotes peuvent avoir peur et ressentir des craintes. Au vu de l’actualité et des comportements de certains, ces réactions sont presque naturelles et légitimes. Le grand défi est de tout faire pour que de la peur, on ne glisse pas vers la défiance et c’est ici que l’on saisit la portée de notre impérieuse contribution.
Comment faire ? Multiplier les actions de proximité, les soirées d’échanges, de débats intra-communautaires mais aussi avec le reste de la population. L’exemple de la grande mosquée de Reims (l’une des plus grandes en France) est à dupliquer impérativement : face à l’émoi suscité par la vague d’attentats, les responsables ont décidé d’organiser un débat au sein même de la salle de prière.
C’est certainement du jamais vu en France et il nous faut multiplier ces initiatives pour décrisper la situation, dissiper des malentendus et rassurer ceux qui ont juste besoin de nous écouter. À Reims, ils étaient 500 cents et nul doute que cette initiative a permis de renforcer la confiance. Imaginons un instant l’impact positif si ces actions étaient répétées par centaines.
Faire table rase des querelles du passé
Prenons nos responsabilités pour mettre à plat toute cette organisation du culte musulman qui est en faillite. La représentativité des musulmans de France est malade. Malade de représentants qui n’ont souvent pas été à la hauteur, malade de multiples ingérences d’États étrangers et malade d’usurpations en tous genres.
Cette époque est révolue et il nous faut d’urgence organiser une nouvelle plate-forme qui puisse réunir le plus largement possible en intégrant de nouvelles têtes et en faisant table rase des querelles du passé. En ce sens, l’initiative lancée par la Grande mosquée de Lyon pour une nouvelle organisation du culte musulman, plus large et plus inclusive que l’actuel CFCM moribond est non seulement à saluer mais également à concrétiser.
Il faut d’urgence que ce nouvel élan soit le résultat d’une impulsion endogène de la communauté musulmane et non pas dicté par les pouvoirs publics ou tel Etat étranger.
Que l’on se comprenne bien, cet appel à la responsabilité ne signifie nullement que l’on devrait être assigné à comparaître devant un quelconque tribunal public. Non, il s’agit, en toute quiétude et sans esquives, de trouver des réponses concrètes à des questions que l’on a peu l’habitude de se poser. Dans un contexte où la France est à la croisée des chemins, cette mobilisation de nos énergies est fondamentale.
Ceci étant, cette responsabilité de la communauté musulmane ne doit pas dédouaner les autres segments de la société afin qu’ils contribuent, eux aussi et à leur manière, à renforcer le vivre-ensemble.
Questionner notre politique étrangère
Ainsi, notre prise de responsabilités ne doit pas nous interdire de questionner la conduite des politiques étrangères des pays occidentaux. Comme le rappellent certains universitaires, si l’on veut lutter contre le sectarisme qui gangrène certaines franges de la communauté musulmane, il faut impérativement mettre un terme aux logiques de domination qui guident la géopolitique de l’Occident au Moyen-Orient.
Dit autrement, l’invasion puis l’occupation de l’Irak sur la base d’un mensonge planétaire, le silence coupable des chancelleries occidentales face aux massacres répétés à Gaza en passant par les indignations à géométrie variable (guerre en Libye mais silence en Palestine) ne font que donner du grain à moudre à ceux qui fustigent le caractère hypocrite et destructeur de politiques menées au nom des principes de la démocratie.
Nous vivons dans un village global où le carnage à Fallujah et le massacre à Gaza sont immédiatement ressentis comme d’insupportables blessures par ceux qui, en plus de leur décrochage social et scolaire, vont souhaiter trouver dans la violence aveugle le canal d’expression de leurs frustrations.
Rétablir à minima les logiques de justice dans notre relation avec le monde musulman (de même que dans nos banlieues) aura pour effets directs de tarir non seulement le logiciel idéologique des radicaux mais également les flux de ceux qui n’ont que la vengeance comme moteur d’interprétation du monde.
Sortir du logiciel colonial ou paternaliste
Notre prise de responsabilités ne doit pas nous empêcher de demander à la société française de faire la part des choses et même si notre rôle est de faire connaître l’éthique profondément humaine de l’islam, il est également nécessaire que de nombreuses personnes sortent du logiciel colonial ou paternaliste. L’échange et l’entre-connaissance doivent se faire dans les deux sens.
Il est bon aussi de se replonger dans l’histoire pour comprendre que l’islam n’est pas apparu ces dernières années comme un corps étranger mais que du souffle intellectuel andalou à la libération de la France, les musulmans ont aussi beaucoup apporté à la construction de notre pays. L’islam n’est pas exogène à la France, il en est partie intégrante.
Cela revient à dire que la révolution des mentalités à laquelle on aspire tous doit rapidement aboutir à sortir des schémas biaisés où le musulman pratiquant ou la femme voilée sont perçus une menace pour la sécurité ou la laïcité.
Ne pas se laisser confisquer l’espace médiatique
Enfin, notre prise de responsabilités ne doit pas éluder le rôle primordial des médias dans la construction des perceptions. Ceux-ci ont aussi une grande responsabilité pour donner de la communauté musulmane une image fidèle de la réalité.
En ce sens, le temps de la confiscation de l’espace médiatique par des imams auto-proclamés, qui ne maîtrisent même pas le français et qui sont largement discrédités auprès des ouailles qu’ils sont censés représentés doit vite être dépassé. Il est du devoir des rédactions de donner la parole à celles et ceux qui, de plus en plus nombreux, incarnent ce nouveau visage de la communauté musulmane.
Si les médias souhaitent garder leur crédibilité, c’est le moment d’inviter celles et ceux qui sont écoutés et qui s’inscrivent dans une démarche d’un islam dont l’apaisement qu’il prône n’est pas synonyme de soumission. Si les médias ne sont pas à l’écoute de ces mutations, ils risquent d’être rapidement dépassés par des alternatives médiatiques qui ont déjà débuté sur internet et dont l’audience ne cesse de se renforcer.
L’avenir est là, devant nous et il nous appartient de tout faire pour préserver la France d’une montée des tensions communautaires aux effets dramatiques. Il est encore temps de faire front ensemble pour négocier ce virage d’une France qui vient de nous démontrer qu’elle était capable d’exprimer le meilleur d’elle-même.